Il n’est pas possible de parler des industries extractives en Afrique sans méditer sur la « malédiction des matières premières ». Pourtant, selon la Banque mondiale, l’Afrique détient près de 30 % des ressources minérales en Afrique 1.
1. LE CORRUPTEUR ET LE CORROMPU SONT UNE MALÉDICTION POUR LE PEUPLE AFRICAIN
La dite malédiction des matières premières 2 n’est pas liée à la présence de la matière première, fondateur d’une richesse fondée sur la rente, l’extraversion de l’économie et la corruption. Cette malédiction est en fait une bénédiction si la gestion des matières premières étaient faites avec efficacité d’une part, et si la transformation et du développement des capacités productives et entrepreneuriales venaient à structurer la chaîne de valeurs quel que soit le secteur concerné.
La réalité est que le choix pour une trajectoire du développement des dirigeants africains fait l’impasse sur le développement humain. Les dirigeants africains, notamment dans les pays où la démocratie est une mascarade pour plaire à l’Occident, se présentent comme de véritables spécialistes de l’abus du pouvoir. En effet, comme ils n’ont ni besoin de l’aval des populations, ni ne peuvent subir la colère de ces mêmes populations grâce un système de contrôle par un système sécuritaire à leur service, certains dirigeants africains, sous emprise ou pas des anciennes puissances coloniales, mais de plus en plus sous influence de entreprises transnationales rapidement transformés en véritables sous-traitants zélés, organisent la création de richesses fondées sur la rente des industries extractives aux dépens des populations africains. C’est en cela que le corrupteur et le corrompu, se mêlant systématiquement des affaires africaines qui ne le regardent pas, sont une malédiction pour le peuple africain.
Une partie de la population africaine, celle qui est pauvre, peu éduquée, ignorante sur la géopolitique et parfois insouciante voire irresponsable, ne se fait pas prier pour participer passivement ou activement à un système de ruissellement des richesses du haut vers le bas, couplé avec une forme volontaire, mais souvent imposée de l’extérieur, de servitudes structurées au sein d’un système de prébendes institutionnalisés.
C’est ainsi qu’une grande majorité des dirigeants africains directement en charge des industries extractives font de la transparence dans la gestion des industries extractives, une priorité fondée sur la désinformation. C’est en effet dans tous les secteurs en amont et aval en lien avec la gestion des industries extractives que d’importants crimes économiques sont commis en toute impunité 3 en Afrique.
2. LES DIRIGEANTS AFRICAINS ONT OPTÉ POUR L’ARGENT FACILE
Les ressources du sous-sol africain génèrent beaucoup d’argent. Pourtant la part de la valeur ajoutée industrielle (VAI), incluant les industries extractives et la construction, a chuté en Afrique subsaharienne entre 2010 et 2017, passant respectivement de 26 % à 23 % de la richesse nationale (Produit intérieur brut). Au cours de la même période, la valeur ajoutée manufacturière (VAM), qui mesure la capacité de développement industriel de l’Afrique a stagné, est passée de 10 % à 10 % 4.
Soit, il y a un manque de stratégie et de volonté des gouvernants africains, soit il existe un système non visible à l’œil nu et donc non contrôlable qui permet de faire sortir l’argent tiré de la gestion des industries extractives, soit les deux.
Il ne faut surtout pas généraliser car un pays comme le Botswana a réussi à se sortir des rangs des pays les moins avancés pour devenir un pays intermédiaire en voie d’émergence. En corollaire, la part de la valeur ajoutée industrielle du Botswana entre 2010 et 2017 et incluant les industries extractives et la construction, est passée respectivement de 32 % à 30 % de la richesse nationale (Produit intérieur brut). Au cours de la même période, la valeur ajoutée manufacturière ou son développement industriel a chuté, passant de 6 % à 5 % 5. Autrement dit et c’est un fait, l’argent de la rente est un argent facile.
L’effort de planification de l’avenir industriel permettant la création d’emplois décents pour les populations est totalement oublié. C’est un constat même si dans les déclarations officielles des dirigeants africains, les priorités sont régulièrement et systématiquement mises sur la transformation et l’intégration entre d’une part, les mines et l’industrie et d’autre part, entre l’agriculture et l’industrie. En réalité, la bonne gouvernance des industries extractives des autorités botswanaises est à louer et les résultats sont en passe d’être au rendez-vous aux plans social et de l’amélioration du développement humain et environnemental.
3. INDUSTRIE EXTRACTIVE EN AFRIQUE : LA RÉALITE DES CONTRAT DOUBLE ET PARALLÈLE
En comparaison, un pays comme le Togo, toujours inscrit parmi les pays les moins avancés, a vu ses dirigeants successifs opter pour la rente par la gestion non-inclusive des industries extractives. La part de la valeur ajoutée industrielle du Togo entre 2010 et 2017 est passée respectivement de 16 % à 17 % de la richesse nationale (Produit intérieur brut). Au cours de la même période, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans la richesse nationale a chuté, passant de 7 % à 4 % 6. Autrement dit, l’argent de la rente liée aux industries extractives (VAI) et en légère augmentation, ne se traduit pas en des améliorations au plan social, encore moins au niveau du développement humain inclusif.
Pourtant il existe pourtant des « leaders africains » qui concilient l’augmentation simultanée de la VAI et de la VAM au rang desquels il faut citer l’Egypte, l’Afrique du sud, le Maroc ou Maurice. Ils n’acceptent pas tous toujours des politiques de transparence sur la gestion des ressources minières.
Il existe aussi des anomalies liées à une opacité dans la gouvernance. Il est possible de citer le Gabon. La part de la valeur ajoutée industrielle du Gabon entre 2010 et 2017 est passée respectivement de 55 % à 45 % de la richesse nationale (Produit intérieur brut) et au cours de la même période, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans la richesse nationale a certes augmentée mais passant de 4 % à 7 %.
Tous ces pays clament haut et fort qu’ils sont attachés à une politique économique pour atteindre une émergence économique dans les années à venir. Pourtant, il leur faut avoir au-delà d’un taux de croissance économique au moins supérieur à 7 % annuellement, une VAI supérieur à 25 % et une VAM au-dessus de 17 % en référence à une moyenne de référence en Afrique. Alors de grâce, que ces dirigeants cessent de s’illusionner et de mystifier le peuple africain.
La réalité est que la gestion des industries extractives ressemble à la gestion au sein d’un boite noire où les zones grises, invisibles, sont gérées par un système de contrat double et parallèle avec des offreurs de services clé en main que sont les entreprises transnationales. Certains Etats africains leurs préparent le terrain en fonction des chantages politiques de toutes sortes sans compter les formes modernes de déresponsabilisation issues des réseaux ésotériques qui dirigent les pays africains. C’est ainsi que l’usage des fonds générés par les industries extractives, ne font pas l’objet d’un système transparent pour rendre des comptes aux populations de manière transparente.
4. LA GOUVERNANCE DE LA COSMETIQUE DE LA TRANSPARENCE
Même les médias sont loin d’appréhender la vérité puisqu’il n’y a que très peu de statistiques disponibles et faibles. Celles qui sont offertes proviennent justement de ces entreprises transnationales qui sont souvent impliquées jusqu’au cou dans la maîtrise des contrats doubles et parallèles.
Alors, la mise en valeur de la responsabilité sociale de l’entreprise ne peut duper que ceux qui croient encore que les promesses peuvent engager celles des entreprises transnationales qui les ont formulées. Mais cette gouvernance de la cosmétique de la transparence permet au système de l’opacité de perdurer avec, de temps à autre, quelques scandales pour avoir du « grain à moudre » pour les médias, les populations africaines et les organisations non gouvernementales, très actives dans la recherche d’une transparence accrue.
Lorsque les gouvernements africains sont en négociation avec des entreprises transnationales pour obtenir les meilleurs avantages pour leur pays sur les industries extractives, ils ont tendance à mettre en valeur l’exigence de transparence et la responsabilité. Ceci est valable pour le contrat officiel.
Il existe un contrat officieux et c’est le double du contrat officiel qui s’effectue en parallèle. La transparence fait alors place selon le pays à l’omerta, l’opacité, l’ambiguïté l’absence de lisibilité, et l’impunité. Les conséquences sont souvent résumées sous la forme de la mauvaise gouvernance qui n’émeut plus personne. Les inégalités, la pauvreté abjecte s’affiche à côté des richesses ostentatoires et non inclusives. Il s’agit de cette « fameuse » gouvernance à l’Africaine dont tout le monde s’accommode au point de banaliser, puis de considérer le refus d’amélioration du bien-être des populations africaines comme une fatalité.
Alors, il suffit de promouvoir la démocrature, cette forme africaine de la démocratie de façade pour les Occidentaux, pour que certains pays riches et certaines entreprises multinationales s’empressent de déclarer suite à des élections présidentielles dites « démocratiques », la victoire d’un Président africain sortant et de moins en moins visibles, avant même la proclamation des résultats officiels électoraux.
5. L’INITIATIVE DE TRANSPARENCE DES INDUSTRIES EXTRACTIVES : LE CAS DU TOGO.
Il existe bien sûr des efforts au plan international pour améliorer la situation. Certains pays africains adhèrent à la norme mondiale pour la bonne gestion des ressources pétrolières, gazières et minières et s’inscrivent ainsi dans la logique de l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE) sans une véritable volonté de transparence réelle. Alors, La Norme ITIE est simplement bafouée. Celle-ci exige « la publication d’informations sur l’ensemble de la chaîne de valeur des industries extractives, depuis le point d’extraction des ressources naturelles jusqu’à la manière dont les revenus parviennent au gouvernement et dont ils profitent à la population 7 ».
Pour le Togo par exemple, 22 sociétés sont enregistrées auprès de l’ITIE et informent sur une création de valeur des 28,4 millions de dollars des Etats-Unis de richesses en 2015 mais validé en 2018. Personne ne vient mettre en cause les valeurs déclarées sauf les organisations de défense des intérêts des populations. Ce qui fait que les sous-déclarations et les non-déclarations prospèrent sur des comptes hors-bilan et hors-budget et finissent souvent dans les comptes offshores avec le soutien proactif des gouvernants. Le Togo offre principalement comme ressources extractives le fer, le phosphates, le calcaire, le gravier, le sable et le pétrole. Pourtant, l’essentiel de la crise togolaise qui perdure depuis 1963, relancée le 19 août 2017 suite à une insurrection population, finit par s’expliquer dans une mauvaise gouvernance des industries extractives qui génèrent des conflits sociaux autour de la redistribution des revenus au sein de la population.
Seuls les membres et sympathisants du pouvoir en place semblent bénéficier du ruissellement de la rente de la gestion des industries extractives vers l’ensemble des populations. Avec l’institutionnalisation des contrats sans appels d’offres, il y a de fait une impossibilité de rendre des comptes aux populations sur l’identité réelle des entreprises ou des exploitations, la non-transparence des conditions d’octroi, d’enregistrement, d’exécution des licences et des contrats de concessions. L’environnement des affaires, le système judiciaire, la nature des dispositions fiscales et juridiques ne permettent pas au Gouvernement de contrôler les quantités produites, le montant des paiements effectués, la destination des revenus et la contribution du secteur à l’industrialisation du Togo, et plus globalement à l’économie togolaise.
6. UN CONTRÔLE PLUS ACCRU SUR LES GOUVERNANTS PAR LE SOCIÉTÉ CIVILE AFRICAINE
Pour que les industries extractives en Afrique finissent par véritablement soutenir l’amélioration du bien-être des populations africaines, l’organisation de la société civile vers une spécialisation et un contrôle plus accru sur les gouvernants s’imposent. En effet, l’indignation et les constats sans corrections sont préjudiciables à l’émergence économique, sociale, culturelle et environnementale du continent africain.
Il y va de la transparence de la gouvernance des industries extractives. La situation, certes en amélioration lilliputienne en Afrique, ne pourra pas connaître un tournant décisif pour les populations sans un compte rendu indépendant des contrats doubles ou triples qui font, en définitive, le lit d’une société parallèle en Afrique. Les contrats parallèles, qui ne sont même pas l’objet d’enregistrement, biaisent la vérité des comptes publics, et par ricochet la vérité des urnes.
Mais le patronat occidental (France, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Etats-Unis, etc.) et de plus en plus asiatique (Chine, Inde) et Latino (Brésil) gagnerait à soutenir l’avènement de dirigeants politiques, adeptes de l’efficacité au service des populations afin de stopper les vagues de migration vers les pays riches, partiellement générées sur le dos des populations africaines.
A défaut, les pays co-contractants de l’usurpation du sous-sol africain peuvent continuer d’investir dans la construction des murs et de l’utilisation de la mer comme rempart absurde contre les migrations du sud vers le nord. Les dirigeants concernés doivent assumer leurs contradictions internes consistant à soutenir les régimes autocratiques et souvent corrompus pour servir les intérêts étrangers aux dépens des intérêts des populations africaines. D’ailleurs, les médias occidentaux politiquement corrects sont assez silencieux sur cette responsabilité- là comme si les pays du Nord étaient un « eldorado » où l’Africain ou l’Africaine gèle en hiver.
7. LA CORROSION ENVIRONNEMENTALE : UN CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
Mais les responsabilités africaines ne sont pas à frapper d’amnésie. Les inégalités de plus en plus criardes en Afrique sont à comparer avec le nombre des milliardaires africains qui oublient de rappeler l’origine de leurs richesses accumulées en toute nébulosité opaque. Au Togo, les 20 % de la population la plus riche au Togo engloutissent 48,6 % des revenus et de la consommation aux dépens des 20 % de la population la plus pauvre qui se contentent de 5 %. Il faut alors attendre que les pollutions occasionnées par les industries extractives finissent par tuer les pauvres et leurs descendant pour que ces citoyens qui parfois n’osent pas se structurer en société civile forte, finissent par disparaître du fait de la corrosion environnementale. Assurément qu’il ne s’agit plus là de changement climatique mais bien de changement sociétal où la planification du pauvre est programmée. YEA.
Dr Yves Ekoué AMAÏZO.
Directeur Afrocentricity Think Tank
30 octobre 2018.
© Afrocentricity Think Tank.
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AFRICA 24 TV – DAKAR
Mme Victoria SEDJI, Journaliste Africa 24 TV
Invité : Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur Afrocentricity Think Tank
Invité du Journal économique : 24 octobre 2018
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Résumé :
- Ecoutez la réaction de Yves Ekoué Amaïzo Economiste, Directeur du groupe de réflexion et d’influence Afrocentricity Think Tank…
Au micro de Mme Victoria Sedji
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Liens : https://www.africa24tv.com/fr/afrique-gestion-des-industries-extractives
Notes:
- Ecouter l’intervention sur Africa 24 TV (Bas de page). ↩
- Whitney J. W. & Mikesell R. F. (2019). The World Mining Industry: Investment Strategy and Public Policy. Scheduled for the 30th of Avril 2019. Routledge : Milton, UK. ↩
- Rédaction (2013). « Afrique : mauvaise perception des gouvernants dans la gestion des richesses extractives ». In Financial Afrik. 15 décembre, 2013. Accédé le 30 octobre 2018. Voir https://www.financialafrik.com/2013/12/15/afrique-mauvaise-perception-des-gouvernants-dans-la-gestion-des-richesses-extractives/ ↩
- World Bank (2018). World Development Indicators 2018. The World Bank Group : Washington D. C. ↩
- World Bank (2018). Op. cit. ↩
- World Bank (2018). Ibid. ↩
- EITI/ITIE (2018). « La norme mondiale pour la bonne gestion des ressources pétrolières, gazières et minières. L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives ». In EITI.org. Voir le site Internet (The global standard for the good governance of oil, gas and mineral resources. The Extractive Industries Transparency Initiative). Accédé le 30 octobre 2018. Voir https://eiti.org/fr . ↩