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Mercredi 13 avril 2016
Journaliste Radio Africa Numéro 1 : Mr Nadir Djennad (ND), Journaliste
Emission : Le Journal des Auditeurs (JDA), 13h25 – 14h00. Voir le Postcast sur www.africa1.com
Contact : info@africa1.com ou jda@africa1.com
Invité : Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Consultant international et Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence Afrocentricity Think Tank.
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
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Thème : La croissance mondiale en panne en 2016 et les conséquences sur les économies africaines
Pour en parler, nous recevrons, par téléphone depuis Vienne en Autriche, le Dr Yves Ekoué Amaïzo, un économiste togolais.
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Ecouter l’émission :
Résumé :
Le Fonds monétaire international (FMI) vient de publier son rapport « Perspectives économiques en Afrique 2016 » et portant sur les chiffres de 2015. Le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2016 à 3,2 % en considérant la vulnérabilité globale liée à l’augmentation des risques. Il y a malgré tout un ralentissement généralisé dans toutes les régions du monde.
Il y a un véritable risque de nouvelles crises financières compte tenu du refus de solder la dette cumulée lors de la crise financière 2007/2008.
La Chine réussit une croissance économique robuste de 6,9 % en 2015 malgré un léger affaiblissement de ses exportations. Cette croissance économique repose sur les activités manufacturières, ce que l’Afrique peine à faire en ne mettant pas l’accent effectivement sur la transformation sur le sol africain et le soutien à l’entrepreneuriat.
La croissance mondiale est soutenue par l’Asie et l’Afrique et accessoirement par les Etats-Unis, alors que l’Europe est à la traîne.
La panne de croissance économique africaine est d’abord liée à la difficulté d’investir en Afrique, produire africain, pour une consommation par les Africains si le pouvoir d’achat suit. Autrement dit, la croissance économique bien qu’insuffisante en Afrique subsaharienne, reste inégalement répartie et trop concentrée aux mains de ceux qui ne réinvestissent pas en Afrique. Toutefois, le risque viendra plus d’une stagnation générale de longue durée en Occident et d’un refus de diversification économique pour accroître d’abord les richesses, puis s’assurer d’une redistribution plus équitable et plus productive sous la forme de création d’entreprises au service des Africains. Il faut pour cela revaloriser la compétence, l’efficacité et attirer la Diaspora africaine par des incitations intelligentes afin de stopper le phénomène des « retour-inverse » où tout est fait pour littéralement « chasser » une partie importante de la Diaspora africaine qui tente de s’investir en Afrique.
Mais sans changer une certaine culture et une certaine mentalité africaine trop concentrée sur la création de richesse par la magie, la corruption ou obtenue sans efforts et sans transformation des matières premières africaines, il n’y aura pas de création de richesses et d’amélioration du bien-être. Si en 2016, le taux de croissance économique de l’Afrique subsaharienne devrait baisser à 3 %, le FMI prévoit qu’en 2021, il devrait être autour de 5 %, toujours en deçà des 7 % nécessaires sur au moins une décennie pour une sortie rapide de la pauvreté et un mieux-être palpable par les populations.
Dr Yves Ekoué AMAÏZO
13 avril 2016
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ND : Bonjour Dr Yves Ekoué Amaïzo, je souhaiterais aborder avec vous les questions suivantes :
ND : 1/ Est-ce que l’on peut expliquer cette panne de croissance pour les pays concernés uniquement par l’effondrement des cours des matières premières ?
YEA : Je vous remercie pour l’invitation. D’abord saluons le fait que le Fonds monétaire international met à disposition des prévisions économiques, même s’il faut reconnaître que les écarts d’ajustements peuvent amener certains lecteurs avertis à ne plus faire confiance à ces données. En l’espèce, le FMI après avoir annoncé des estimations en octobre 2015, puis janvier 2016 relativement positives sur l’amélioration de la croissance mondiale, le même FMI vient justement d’offrir en avril 2016 des révisions fondées sur une option pessimiste quant à la capacité réelle des économies occidentales à soutenir la croissance mondiale. Rappelons d’ailleurs que la croissance économique de la France est passée de 0,2 % en 2014 à 1,1 % en 2015 alors que pour la même période, celle de l’Afrique subsaharienne est passée de 5,1 % à 3,4 %. Le différence de croissance ne profite pourtant pas à l’Afrique subsaharienne car les rapports de force économiques et militaires et culturels sont à prendre en considération.
Sur une plus grande période, la croissance économique de l’Afrique subsaharienne est passée de 6,0 % en 2008 à 3,4 % en 2015, soit une chute de moitié avec des perspectives conservatrices pour 2016 autour de 3 % et 4 % en 2017 (IMF, WEO, 2016 : p. 174). La croissance de l’Afrique incluant l’Afrique du nord est en dessous de 3 %. Tout ceci est mieux que l’Amérique latine qui est passée pour la même période de 3,9 % à -0,1 % et des perspectives à -0,5 % en 2016. C’est donc bien l’Asie qui tire la croissance mondiale vers le haut avec pour la même période une évolution de 7,2 % à 6,6 %, alors que les économies industrialisées peinent, avec une croissance passant de 0,5 % à -0,3 %, avec la France passant de 0,7 % en 2008 à 0,5 % en 2015, moins qu’en 2008, en pleine crise financière mondiale.
L’explication peut se résumer à une mauvaise réponse liées aux conseils standardisées des principales organisations financières de développement, mais aussi des économies industrialisées qui n’ont pas fait de réformes structurelles et ont préféré démultiplier la financiarisation de l’économie aux dépens du l’investissement dans l’économie réelle. Autrement dit, de nombreux pays industrialisés, notamment européens, ont refusé de sanctionner la mauvaise gestion de leurs banques et de leurs Etats et ont préféré agglomérer leur dettes au niveau de leur banque centrale commune qui en retour à offert des crédits et de temps pour permettre aux mêmes Etats de réformer et de se réformer. Mais, plus les facilités sont offerts, moins les réformes ont lieu. Ils sont nombreux qui ont bradé leur capacité productives à des investisseurs privés qui viennent d’ailleurs de plus en plus de l’Asie et principalement de la Chine. Bref, l’investissement dans l’économie réelle a été sacrifiée sur l’autel des dogmes néolibéraux. Malheureusement, la plupart des économies africaines ont suivi cette approche et se sont laissé duper par l’amélioration passagère des cours de certaines matières premières notamment le pétrole. A cela et ceci concerne autant les pays industrialisés que dans les pays africains, il faut rajouter la corruption et les transferts volontaires ou non-volontaires (cas de la Grèce et de nombreux pays africains) de « propriété » des structures productives vers des oligarchies transnationales et plus en plus asiatiques
ND : 2/ Quels pays sont concernés en priorité ?
YEA. En Afrique, la panne de croissance économique en 2015 est importante. En Afrique du nord, on peut citer la Libye avec un taux de croissance économique de ‑6,4. En Afrique subsaharienne, il convient de mettre en exergue la Sierra Leone (-21,5 %), la Guinée équatoriale avec -12,2 %, le Burundi avec -4,1 %, le Botswana avec ‑0,3 %, le Sud Soudan (-0,2 %). Cela ne doit pas cacher le fait que les deux plus importantes économies africaines sont en train de perdre leur statut de locomotive économique. Le Nigeria enregistre une chute inquiétante passant de 6,3 % en 2014 à 2,7 % en 2015 et l’Afrique du sud, membre des pays émergents, ne décolle pas avec 1,5 % en 2014 et 1,3 % en 2015.
De plus, de nombreux pays en Afrique subsaharienne n’arrivent pas à soutenir les 7 % de croissance économique nécessaire pour soutenir la création d’emplois dont a besoin le continent. Aussi, il convient de mettre en exergue, les pays comme la Tanzanie (7 % au cours des 3 dernières années), le Sénégal (6,5 %), le Mozambique (6,3 %), le Mali (6,1 %), l’Ethiopie avec 10,2 %, la République démocratique du Congo (7,7 %), la Côte d’Ivoire avec 8,6 %). Le Togo se maintient avec 5,3 % en 2015 et une légère baisse en 2016, avec 5,2 %. Mais ce qui caractérise ses économies, ce sont les inégalités et la concentration de la richesse aux mains de quelques-uns qui souvent ne réinvestissent pas pour améliorer le bien-être de leurs populations respectives. Bien sûr, les dépenses importantes investies dans le renforcement de la sécurité du fait du terrorisme, mais aussi des gardes rapprochées de certains dirigeants africains, ont alourdi les dépenses publiques. Il s’agit en réalité d’un transfert important aux dépens souvent des dépenses sociales, culturelles et d’investissements structurels.
ND : 3/ Quelles types de réformes les pays concernés devraient engager ?
YEA : Plus que des réformes, ce sont les mentalités d’assistés et de refus de transformation en Afrique des matières premières et le développement de la chaine de valeurs entre l’Agriculture, l’industrie et les services y compris avec les nouvelles technologies qu’il faudra changer. En fait, on peut se demander si les dirigeants africains, pris collectivement, s’intéressent au bien-être de leur population car la croissance économique fondée sur les inégalités et le non-respect des libertés et des droits humains n’est pas inclusive. Aussi, le refus de réinvestir en Afrique dans le secteur productif et créateur d’emplois est une constante de nombreux dirigeants africains qu’ils soient du secteur public ou du secteur privé.
Si la Chine est passée de 9,6 % en 2008 à 6,9 % de croissance économique en 2015, alors il faudra plus tenter de regarder les réformes introduites par la Chine. Est-ce que les dirigeants africains prennent conscience que la priorité des priorités pour le Président chinois actuellement est la lutte contre la corruption… Pour une fois qu’il serait bon de faire du mimétisme, l’Afrique est aux abonnés absents.
ND : 4/ Si cette panne de croissance se confirmait, quelles conséquences au plan du développement économique et politique ?
YEA : Cette panne de croissance devrait se confirmer pour tous les pays qui refusent d’entrer dans le changement de culture politique fondé sur la facilité (vendre des matières premières non transformées) et refuser d’intégrer sa diaspora en lui facilitant la vie et le retour.
ND : 5/ Peut-on craindre des émeutes, des soulèvements ?
YEA : La réponse est malheureusement OUI. Les printemps dits « arabes » ne sont que des précurseurs. On peut craindre des soulèvements et des contestations surtout que les élections en Afrique demeurent encore pour moitié fondées sur des modifications intempestives et injustifiées des Constitutions et les falsifications de la vérité des urnes. Mais vous savez aussi qu’en Afrique, les régimes démocratiques et respectueux des droits humains et de la liberté d’expression se comptent sur les doigts de la main. Donc, ce qu’il faut craindre, c’est plus la répression sanglante contre justement des situations d’inégalité et d’abus des droits humains.
ND : 6/ Quel rôle peut jouer la diaspora ?
YEA : Le rôle de la Diaspora africaine est fondamental. Encore faut-il ne plus faire dans l’angélisme à rêver d’un passé fondé sur le paiement des spoliations liées à l’esclavage et la traite, encore moins à rêver d’un panafricanisme alors que le minimum d’organisation, de convergence et de coordination fait défaut au sein des structures des Diasporas africaines. Les apports de la Diaspora africaine dépassent de plus en plus l’aide au développement et même le total des investissements étrangers directs dans quelques pays africains. Mais ces apports restent limités à des transferts d’épargne qui vont essentiellement dans la consommation et le court terme. Aussi, sans des institutions bancaires qui peuvent convertir l’argent du court terme vers le long terme et sans des incitations des gouvernements africains pour favoriser le retour des talents et expertises dans tous les secteurs au lieu de les faire fuir par des politiques de dissuasion. Mais il faut aussi savoir qu’il existe au moins trois types de Diaspora : celle qui s’aligne sur les pouvoirs en place, celle qui ignore et se terre dans le silence en abandonnant l’Afrique, et ceux qui s’engagent de manière citoyenne et tentent de faire ce qu’ils ou elles peuvent pour améliorer le bien-être de ceux qui sont restés au pays.
Mais, rien ne se fera sans une organisation interne des Africains et une nouvelle culture de l’effort fondée sur la transformation locale des matières premières locales, fondée sur l’industrialisation et l’efficacité. La Diaspora africaine devra « sortir » de son ethnicité pour embrasser une approche plus collective fondée sur le transfert de technologie, de savoir-faire et l’entrepreneuriat. Tout ceci se prépare méthodiquement, demande de l’organisation et de la coordination. Si certains peuvent arrêter de défendre les intérêts des non-nationaux pour se focaliser sur celui des populations africaines, la croissance économique sera plus inclusive et moins inégalitaire. Les Africains doivent en prendre conscience en sortant d’une forme de naïveté et de rêve d’un futur meilleur sans organisation et coordination. YEA.
13 avril 2016.
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