Note de lecture : Zounga Bongolo (2011). « L’Arbre aux mille feuilles », Coll. Ecrire l’Afrique, édition L’Harmattan : Paris. 193p. – 19€.
« L’Arbre aux mille feuilles » ( 1) de Zounga Bongolo :
Matsouanisme et révolution au Congo
Noël Kodia
Quand Alifax Salabange revient au pays sous l’initiative de son ami Samson Licouf et où il est nommé sous-préfet de Kinkala, il croit mettre ses compétences au service des larges masses populaires. Mais contre toute attente, il est surpris la méchanceté de la Révolution des 13,14 et 15 août 1963 qui broie ses propres fils. Il est accusé dans un complot imaginaire contre le pouvoir et tombe dans la politique politicienne en se mettant malgré lui aux services de la secte des matsouanismes appelés encore « corbeaux » qui combattent la Révolution. Torturé puis sauvé de justesse de la mort que veulent lui donner Mabouaka et Castro, deux sbires de la Défense civile, fer de lance de la Jeunesse du mouvement national de la Révolution (JMNR), il est pris en charge par les corbeaux de l’île du diable qui feront de lui le Corbeau-en-chef. Tous les malheurs d’Alifax proviennent de son ami Samson Licouf qui n’avait jamais accepté d’avoir été abandonné par Jolyverte pour tomber dans les bras d’Alifax. Celle-ci sera assassinée par vengeance. Mais après le bouleversement politique dans le pays où l’armée a maté certains éléments armés de la Révolution regroupés au sein de la Défense civile et après la débâcle de Licouf, Alifax est dans le milieu du nouveau pouvoir. Il retrouve ses enfants et une certaine Jaria qu’il avait agréablement connue au cours de ses mésaventures. « L’Arbre aux mille feuilles », un roman polyphonique où fiction et réalités sociopolitiques se battent, pour définir deux principales directions de la diégèse que déroule le récit.
Le matsouanisme : de l’anticolonialisme la Révolution
Traitée presque par la majorité des écrivains du Pool (Makouta Mboukou, Guy Menga, Placide Nzala Backa…) la thématique du matsouanisme est reprise ici par Zounga Bongolo dans une dimension plus fictionnelle que réaliste. Aussi, il livre le côté métaphysique de ce mouvement messianique quand il le situe du côté de l’île du diable qui été toujours un mystère pour les populations des deux rives du fleuve. Et c’est sur l’île qu’Alifax commence ses premiers pas dans l’initiation qui lui donnera le titre de Corbeau-en-chef. Tout paraît mystérieux autour de cet endroit. Alifax y est emmené par les corbeaux infiltrés au sein de la JMNR. Pris par un sentiment de peur et d’inquiétude, Alifax n’a jamais été séduit par les sectes, d’où son comportement un peu oisif devant un certain Lembréta : « Alifax craint de discuter avec un fanatique. Les sectes religieuses ne l’ont jamais séduit. Les fréquenter signifie pour lui, activer les forces qui maintiennent l’homme dans l’inertie ». Mais malgré lui et pour avoir été sauvé de la mort par les matsouanistes, il est obligé de coopérer avec ces derniers. A travers ce roman, se révèle la force d’un mouvement de revendication des droits de l’homme qui a lutté contre le pouvoir colonial puis néocolonial représenté par le premier président congolais avant de braver la Révolution : « Nous sommes un peuple persécuté, redit Lambréta [le matsouaniste]. D’abord par les colons qui ont mené contre nous une hostilité larvée. Ensuite, par l’église catholique qui a mis sa main à la pâte en dressant ses fidèles contre nous. Enfin par Fulbert Youlou qui a décidé d’anéantir le mouvement par la déportation des fidèles à travers le pays ». Pour les matsouanistes, Alifax apparaît comme l’envoyé de Dieu après Matsoua pour remplacer Youlou embourbé dans la trahison. Même quand ce dernier sera chassé du pouvoir, ses successeurs se montrent impopulaires par les agissements de la Défense civile. Et quand celle-ci affronte l’armée républicaine, les matsouanismes jouent à l’équilibriste dans ce combat pour venger les leurs et Alifax qui ont subi la barbarie des éléments de la JMNR transformés en véritables épouvantails de la population.
Quand la Révolution dévore ses propres fils
La Révolution, dans sa méchanceté envers ses propres fils, est représentée par des hommes de paille tels Licouf, Mabouaka et Castro qui seront les bourreaux d’Alifax qui est étonné quand il découvre la véritable face de Licouf. Ce dernier, un prototype de cadre africain qui, malgré sa culture puisée au « pays des Blancs », se montre ridicule pour un problème de femme. Cynique, Il plonge son ami dans un coup d’Etat pour le torturer moralement et physiquement. Et dans la lutte des cadres pour le pouvoir, Samson Licouf va causer la mort de plusieurs de ses collègues rentrés d’Europe après lui, y compris Alifax : « [Albain] a été empoisonné au cours d’un banquet (…) Lucide Lissossi (…) a péri dans une catastrophe aérienne. Et le [prochain], c’est toi, Alifax Salabange ». Il s’en prend ensuite à Jolyverte, la femme de son ami au cours d’un rendez-vous dans un hôtel de Brazzaville en essayant d’abuser d’elle. Repoussé et fâché, il sera à l’origine de la mort de cette dernière. Quant à Mabouaka et Castro, ils forment le tandem de la mort au sein de la JMNR. Deux tortionnaires du camp Makala sans pitié qui donnent la mort avec plaisir. Alifax, accusé de matsouaniste, subira les foudres de Castro avant d’être « protégé » par Mabouaka qui le reconnaitra comme sous-préfet de Kinkala quand il sera emmené au camp Makala : « Mabouaka est la main du diable (…). Celui qui le voit est un homme mort ». Aussi, il n’est pas étonnant qu’ils précipitent Alifax dans le fleuve pour se débarrasser de lui. Heureusement que celui-ci sera sauvé de justesse par les corbeaux.
Ce récit riche en rebondissements décrit une partie de l’histoire du Congo avec des personnages qui reflètent des acteurs réels de la politique congolaise. Et la force de l’écriture de ce livre se situe au niveau de la belligérance entre la fiction et quelques bribes de la réalité de Brazzaville d’après août 1963, ville où les hommes et les femmes atteints de folie deviennent des héros pour braver les vices du pouvoir politique.
En guise de conclusion
Quatrième roman après « L’Enfant prodigue de Soweto », « Les Sorciers de l’île Tibau », et « Un Africain dans un iceberg », « L’Arbre aux mille feuilles » se situe dans la continuation de la verve de Zounga Bongolo que l’on peut considérer comme l’un des écrivains les plus féconds de sa génération. Avec ce roman, l’écriture de l’auteur fait écho à un autre grand nom du roman congolais, Dominique Mfouilou dont l’ensemble de l’œuvre reflète la révolution des 13, 14 et 15 août 1963 avec tous ses paramètres.
Noël KODIA
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Notes:
- Zounga Bongolo, « L’Arbre aux mille feuilles », éd. L’Harmattan, Coll. Ecrire l’Afrique, 2011, 193p. 19€ ↩